Intrigue chez 

Virginia Woolf 


Intrigue chez 

Virginia Woolf


Un coup de cœur pour de nombreuses lectrices et lecteurs

Disponible partout, en format papier et numérique


Livre papier : 17 € 

Format numérique : 4,99 €


Et des centaines d'autres 

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Extrait

Ce jour-là, il faisait chaud et orageux lorsque Clara arriva à Rodmell. Elle se gara devant la voiture de Vicky. Elle jeta un œil distrait au jardin, puis alla frapper à la porte de derrière. Malgré les nuages qui menaçaient, les fleurs embaumaient et érigeaient de tous côtés leurs couleurs flamboyantes.

Vicky apparut à l’une des fenêtres du premier étage.

— La maison est fermée aux visiteurs à cette heure-ci ! Les horaires sont inscrits à l’entrée, dit Vicky d’un ton sec.

— Hé, c’est moi ! Clara !

— Ah ! c’est toi ? Je descends !

La porte s’ouvrit sur Vicky, vêtue d’un jean et d’un débardeur blanc, toujours aussi blonde avec ses joues rebondies d’un rose tendre. Elle devait avoir chaud, car quelques gouttes de sueur perlaient sur le duvet de sa lèvre supérieure.

— Que t’est-il arrivé ?

— J’ai eu envie de changer de tête !

— Ça te va bien, mais je crois que je te préférais en rousse… Figure-toi que je suis en plein rangement, tu tombes bien, je viens juste de terminer !

Qu’est-ce qui t’amène ?

— J’ai besoin d’un livre que j’ai oublié ici !

— Rentre, suis-moi, je t’offre un thé !

— With pleasure ! Pendant que j’y pense, tu n’aurais pas trouvé mon foulard, assorti à la robe que je porte aujourd’hui ?

— Non ! Pourquoi ?

— Impossible de remettre la main dessus ! Je l’ai peut-être laissé dans le salon.

— S’il traînait dans la maison, je l’aurais vu ! Après vous, chère Madame ! lui dit Vicky en français, heureuse de l’accueillir.

Clara suivit son hôtesse. C’était la première fois que Clara empruntait cet escalier rustique, peint en blanc. Vicky l’informa que du temps de Virginia, les murs du hall étaient rouge grenat et la rampe vert bleuté. Clara s’imagina la romancière en train de monter ces marches, d’arriver dans sa chambre, de passer devant sa salle de bain, équipée d’une baignoire dont elle était fière. Lorsque les Woolf achetèrent cette maison en 1919, il n’y avait ni électricité, ni eau courante, encore moins de salle de bain, pas même des toilettes, réduites à un cabinet campagnard, tellement sinistre que l’agent immobilier refusa de le leur montrer. Durant cinq ans, Virginia et Leonard se lavèrent dans la cuisine, derrière un rideau, et dans une bassine en fer blanc. À cette époque on tirait l’eau à la pompe. Virginia écrivit dans son journal qu’elle se rappelait avoir fait du pain tout en veillant à la fenêtre, de crainte que Mrs Dedman, leur domestique du moment, ne surprît Leonard dans son bain.

Virginia semblait être partout.

Clara suivit Vicky dans une petite cuisine aménagée qui donnait côté rue, au-dessus du garage.

— Pendant que je mets l’eau à chauffer, si tu veux, tu peux aller chercher ton livre, lui suggéra Vicky.

Clara ne se fit pas prier et longea de nouveau le couloir pour redescendre. Alors qu’elle arrivait dans l’entrée, un grondement de tonnerre résonna dans toute la maison. Brrr… quel sale temps ! pensa-t-elle. Soudain, il fit sombre comme en pleine nuit. Elle alla sous l’escalier pour prendre le roman qu’elle avait laissé dans le tiroir d’un secrétaire. Il était bien là. Elle l’ouvrit et retrouva sans difficulté la carte de visite. Un éclair zébra le mur blanc en face d’elle et un nouveau coup de tonnerre déchira l’air chaud. Couché en caractères gras sur le papier cartonné, le numéro de téléphone se trouvait en dessous du nom de Bancklemore. Soudain, elle crut voir le profil de son tortionnaire se découper sur le mur. Clara glissa rapidement le livre et la carte de visite dans son sac, puis remonta auprès de Vicky.

Théière en main, Vicky servait de l’English Tea à la saveur un peu boisée, très appréciée des Britanniques.

— Et ta voiture ? lui demanda-t-elle en lui faisant signe de s’asseoir.

— J’ai été obligée d’en acheter une autre !

Elles bavardèrent ensuite de tout et de rien. Vicky évoqua sa colocataire, Mathilda, qui ce soir-là était de sortie en boîte de nuit à Brighton avec des amis. Elle allait probablement rentrer au petit matin. L’orage s’était éloigné, mais il faisait toujours aussi lourd. Vicky voulut aller voir le nouveau véhicule de Clara. Après cela, elles s’assirent sur le banc en pierre du jardin italien et parlèrent de la France que la jeune Anglaise désirait visiter.

Vicky regarda sa montre.

— Déjà 19 h ! C’est fou comme le temps passe vite quand on papote !

— Je ne vais pas te déranger davantage…

— Mais tu ne me déranges pas, au contraire, j’ai horreur d’être seule ! Reste donc dîner avec moi, j’ai tout ce qu’il nous faut pour ce soir, ça sera sympa ! proposa Vicky avec un sourire désarmant.

— J’accepte volontiers ! Mais auparavant, je dois prévenir une amie.

Elles empruntèrent de nouveau l’escalier et retrouvèrent la petite cuisine.

— Va dans le salon, tu seras plus à l’aise, moi je m’occupe du repas.

Clara s’installa dans un fauteuil à fleurs et balaya du regard la pièce aux murs sombres et au mobilier peint en noir. Quoique surprenante, la décoration faisait ressortir le côté chaleureux que les Anglais affectionnent. — Sally, vous ne devinerez jamais !

— Quoi ?

— Je dîne à Monk’s House !

— Fantastique ! Vous avez récupéré le numéro de…

— Oui, je l’ai ! Figurez-vous qu’en ce moment je suis dans l’un des salons du premier étage.

— Et la salle de bain, vous l’avez vue ?

— Oui, d’après Vicky, elle est restée à peu près la même.

Elle m’a dit que l’énorme baignoire en fonte qui s’y trouve penche légèrement. Il est troublant de penser à tous ceux qui s’y sont étendus. Tout à l’heure, Vicky m’a raconté que Virginia avait pris l’habitude d’y tester ses écrits à voix haute, sans imaginer que dans la pièce en dessous, Louie, la cuisinière, l’entendait marmonner.

— Maintenant que vous m’en parlez, je me souviens qu’elle y avait fait allusion…

À son timbre de voix, Clara comprit que sa vieille amie était émue.

— Un jour, c’est promis, je vous ramènerai ici et, cette fois-ci, vous aurez accès à tout ce que les visiteurs ne peuvent pas voir ! Je vous laisse, Sally, j’ai hâte de vous retrouver, je n’arriverai pas très tard.

— Prenez votre temps et bon appétit ! Surtout, faites attention sur la route !

Clara raccrocha tandis que son hôtesse annonçait à nouveau en français avec son petit accent charmant :

— Le dîner de Madame est servi !

Elle avait noué un tablier blanc à volants sur son jean délavé. Elle avait la fraîcheur d’une rose et le teint des femmes des années trente. Clara pensa que la passion de Vicky pour la romancière et son époque pouvait avoir modifié insidieusement son physique. De sorte qu’une symbiose s’était opérée entre la chose étudiée et le sujet. Elles s’installèrent dans la cuisine et dégustèrent un délicieux fish and chips maison. Malgré la fenêtre ouverte, il n’y avait pas un brin d’air. Pour l’occasion et parce que son invitée était du pays des grands crus, Vicky déboucha une bouteille de bordeaux blanc. Jusqu’à ce jour, Clara n’avait pas eu l’occasion de discuter avec Vicky et lui posa quelques questions pour mieux la connaître. — Que fais-tu le reste de l’année ? Tu n’habites pas continuellement à Monk’s House ?

— Non, j’étudie à Oxford, je viens de finir ma thèse sur Virginia Woolf. J’ai une chance folle de pouvoir loger ici pendant cet été, les places sont très recherchées. Je suis bénévole à plein temps, contrairement à toi qui n’es présente ici qu’une fois par semaine.

Leur dîner terminé, elles allèrent ensuite dans un deuxième salon. Clara jubilait. Elle s’approcha d’une fenêtre et admira le jardin comme elle ne l’avait jamais vu.

La pluie commençait à tomber.

— Cette pièce aurait fait une belle chambre, dit Clara. C’est étrange que les Woolf en aient fait un salon !

Vicky se dirigea vers une bibliothèque, prit un livre qu’elle ouvrit et lut à voix haute une phrase de Virginia Woolf. « Nous avons l’intention de faire de ma chambre le salon, à cause de la vue ; ne pas en profiter, jour après

jour, est criminel : un regard adulte n’aime pas gaspiller. » Vicky vint s’asseoir près de Clara et continua :

« Leonard et Percy Bartholomew transférèrent le mobilier au rez-dechaussée. À partir de là se bâtirent d’innombrables théories savantes sur Woolf et sa “chambre solitaire”. Alors qu’un regard sur la maison permet de s’apercevoir qu’un passage intérieur vers la chambre actuelle est impossible. »

Vicky lut une autre phrase de l’autrice pour corroborer ce qu’elle venait d’expliquer à son invitée : « … nous avons notre nouveau salon et un feu ronflant, et sommes à l’aise. Le jardin de Leonard a été une vraie merveille

— quantité de lis blancs et tant de dahlias que nous en sommes éblouis. » Un air de gospel endiablé emplit soudain la pièce.

Vicky se précipita sur son portable qui traînait sur la table basse. Clara lui chuchota en se levant :

— Je m’en vais, merci pour tout !

Vicky lui répondit d’un petit signe amical, avant de se caler dans son fauteuil pour une conversation qui risquait de s’éterniser.

La pluie s’était arrêtée. Clara était d’humeur joyeuse. La tête lui tournait un peu. Elle était lasse comme on l’est après un bon repas, ce qui ne l’empêchait pas de prendre conscience de la chance inouïe qu’elle avait de poser les pieds sur le parquet où Virginia avait déambulé.

Clara arriva dans l’entrée. La fatigue et l’atmosphère tamisée aidant, Clara resta un moment devant le miroir et se plut à imaginer que l’autrice se tenait derrière elle, plus grande d’une tête, et lui souriait avec un visage bienveillant !

Clara cligna des yeux, elle crut l’apercevoir. Quelle sotte, elle faisait ! C’était seulement son portrait accroché sur le mur de la salle à manger qui se reflétait. Comme elle aurait aimé que ce fût la réalité, que Bill ne fût plus en danger, confortablement installé dans sa maison, et que Virginia fût vraiment là, derrière elle, à lui sourire… Telle une amie, elle lui aurait posé la main sur l’épaule et l’aurait invitée à venir parler littérature devant la cheminée, dans l’un des fauteuils aux imprimés originaux créés par sa sœur, Vanessa. Elle lui aurait confié ses préoccupations du moment, son défi quotidien à écrire la vie, à se faire entendre lorsque l’on est une romancière… d’où l’importance d’avoir un lieu à soi et une autonomie financière. Elle lui aurait raconté la société victorienne dans laquelle s’était déroulée sa jeunesse à Hyde Park Gate, les bonnes convenances qui enfermaient les femmes chez elles, et leur maison à Londres, sombre et encombrée de meubles. Son père cultivé qui lui permettait l’accès total à sa bibliothèque, ce qui était rare à l’époque pour les femmes — mais qui contrairement à ses fils n’autorisa jamais ses filles à aller étudier à l’université. Il n’avait jamais voulu dépenser un seul penny pour leur éducation. Ce fut une frustration immense pour Virginia qui désirait tant apprendre. Avide de moments d’intimité dont elle raffolait, Virginia l’aurait regardée de ses yeux gris-vert et elle lui aurait certainement proposé de boire un thé ou d’aller faire une promenade. Elle aurait ri d’elle-même et des autres, car, loin de l’image qu’on en donnerait par la suite, Virginia était une femme gaie qui aimait la vie. Elle ne montrait jamais qu’elle était malade ou alors, si c’était le cas, elle surmontait ses crises avec humour. Elle possédait l’art de décrire les situations les plus ordinaires. Elle s’en servait pour mettre en évidence l’inacceptable rejet des femmes. Elle savait si bien déminer la bombe des apparences, dénoncer l’absurdité des hommes à se vouloir supérieurs à l’autre moitié de la population. Elle savait si bien évoquer le talent féminin annulé… car « les femmes, durant tous ces siècles, avaient servi de verres grossissants dont le magique et délicieux pouvoir réfléchissait la silhouette naturelle d’un homme en multipliant sa taille par deux. » Mais aussi, de sa voix mélodieuse, elle lui aurait parlé de beauté, d’amour et de nature... ici, à Monk’s House, la conversation était son principal divertissement, les gens les plus variés lui rendaient visite. Clara s’imagina comme faisant partie de ce microcosme intellectuel novateur et stimulant qui, en dehors des réunions à Londres, se retrouvait soit ici, soit chez Vanessa Bell à quelques kilomètres de là.

Après un sourire, Clara se fit une grimace dans le miroir. Et puis soudain, au-dessus d’elle…

Dès les premières pages, on se sent happée par l’histoire, une sombre affaire de meurtre dans laquelle semble être impliqué Bill, le petit ami de Clara, une jeune française expatriée en Angleterre, et au caractère bien trempée. Puis on fait connaissance avec la douce Sally, une adorable vieille dame, et amie de Clara. Le tout dans l’atmosphère cosy de la campagne anglaise.

Ce roman n’est pas seulement un thriller dans la lignée des Agatha Christie, c’est une ode à la Femme et notamment à une grande écrivaine Virginia Woolf dont Sally et Clara vouent un véritable culte. Bien que ballotée entre meurtres et mafia, Clara aidée de Sally mènent parallèlement une enquête sur la véritable raison de la mort de l’écrivaine. Tout est si réel que l’on se pose des questions.

Au travers d’une écriture fluide, riche et délicate, l’autrice Anne-Marie Bougret nous entraîne, pour mon plus grand plaisir, dans une intrigue policière teintée de paranormal.

Merci beaucoup Anne-Marie pour cet excellent moment passé en compagnie de Clara, Sally et Virginia.

A vous, qui n'avez sans doute pas encore lu ce roman, je ne peux que vous conseiller de le lire. Vous ne serez pas déçus.

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